Interview exclusive du Pr Frédéric Bloch, chef du service gériatrie au CHU Amiens-Picardie
Etablissement de 1ère ligne dans la lutte contre l’épidémie de Coronavirus, l’établissement public de santé universitaire d’Amiens, le CHU Amiens-Picardie, porte un soin tout particulier à la prise en charge des personnes âgées de plus de 75 ans. Un défi supplémentaire dans un environnement déjà complexe.
Rencontre avec le Professeur Frédéric Bloch, chef du service gériatrie au CHU Amiens-Picardie.
Pouvez-vous nous décrire votre Centre Hospitalier Universitaire ?
Frédéric Bloch : Le CHU Amiens-Picardie est un des deux CHU des Hauts-de-France, pôle d’excellence en santé avec trois grandes missions : soigner, enseigner et faire de la recherche. L’établissement a la mission de soigner tout d’abord la population située dans son territoire de proximité avec une offre territoriale en tant qu’animateur du Groupement Hospitalier de Territoire Somme Littoral Sud. Au niveau régional, il déploie un rôle d’expertise et de recours avec ses activités de maternité de niveau 3, des urgences et d’une haute expertise en chirurgie et réanimations. Enfin dans une logique d’hyper spécialité, il déploie des compétences remarquées nationalement ou internationalement sur certaines activités.
Le CHU Amiens-Picardie est particulièrement actif dans la formation notamment des étudiants en médecine et pharmacie et de ses 1400 étudiants paramédicaux, avec une caractéristique unique, celle de proposer 16 écoles, instituts et centres de formation dont le plus grand centre de pédagogie par la simulation au sein d’un environnement de soins : SimUSanté®.
Enfin, le dynamisme de la recherche, en particulier dans le cadre de l’épidémie de Covid-19, permet d’investir sur ce seul sujet une cinquantaine de projets dont il est en majorité le promoteur.
En tout, 6300 professionnels de la santé, dont environ 850 médecins, sont investis à Amiens.
Dans quelle mesure la lutte contre le Covid-19 a transformé l’organisation du CHU ?
Frédéric Bloch : Face à l’épidémie, notre montée en puissance a été progressive et nous a permis de ne pas être dépassés par l’afflux de patients nécessitant des lits de réanimation. En temps normal, le CHU compte au total 1 673 lits et places. Parmi ceux-ci, la gériatrie dispose de 75 lits de court séjour, de 50 lits de soins de suite dédiés à la partie rééducation et réadaptation ainsi que de 330 lits d’hébergement (Ehpad ou lits de long séjour).
Face à l’épidémie de Covid-19, notre stratégie a consisté en deux actions principales. En premier lieu, porter le nombre de lits de réanimation de 50 à plus de 90 dont 60 ont été réservés aux patients touchés par le virus. En second lieu, ouvrir six unités « Covid » de vingt lits de médecine traditionnelle avec deux unités spécifiquement gériatriques.
Le patient en gériatrie nécessite souvent des attentions particulières. Comment relever ce défi supplémentaire face au Covid-19 ?
Frédéric Bloch : Nous l’avons relevé grâce aux deux unités « Covid » ouvertes pour cette catégorie de patients âgés. L’une a été réservée à ceux admis aux urgences. L’autre, plutôt destinés aux résidents d’Ehpad, s’est attachée à prendre en charge des personnes avec des troubles du comportement. Dans ce cas en effet, il est plus difficile d’appliquer la consigne d’isolement individuel préconisée par le ministère de la santé pour les patients d’Ehpad. Nous avons choisi d’avoir une unité entièrement isolée où tout le monde se protégeait et où les patients atteints de Covid-19 pouvaient déambuler.
Du point de vue médical, quelle a été la spécificité de la prise en charge de patients gériatriques atteints de Covid-19 ?
Frédéric Bloch : Nous avons vite constaté que les symptômes habituellement décrits pour le Covid-19 comme une fièvre élevée et des signes de détresse respiratoire ne sont pas ceux auxquels nous avons été confrontés en gériatrie. Pour cette catégorie de patients, nous avions aussi affaire à des signes digestifs, des troubles du comportement et des chutes plus fréquentes. Il a donc fallu s’adapter assez vite et décider de tester, d’isoler et de surveiller des patients ne présentant pas une symptomatologie typique de la maladie. Dans ce cadre, nous avons veillé à adapter l’hydratation des personnes et à leur fournir une protection contre le risque de phlébite, laquelle peut mener à l’embolie pulmonaire. En parallèle, nous avons veillé à maintenir le lien avec les familles qui n’avaient pas de droit de visite via des liens numériques grâce à des tablettes. Pour mener à bien toutes ces actions, nous avons augmenté le nombre de soignants au chevet des malades.
Justement, comment le personnel soignant s’est adapté face à ce contexte inédit ?
Frédéric Bloch : Trois choses ont changé pour le personnel soignant. Tout d’abord, il a dû mettre en place les mesures et les gestes barrière et s’équiper de tenues spéciales. Autrement dit, toute une préparation longue et minutieuse avant et après les soins auprès des patients. Ensuite, la diminution des activités traditionnelles programmées pour ouvrir des unités à la fois de réanimation et uniquement destinées à la prise en charge de patients Covid-19, a conduit à des déplacements de professionnels. Nombre de ceux qui travaillaient dans une spécialité se sont retrouvés à gérer une activité très spécifique pour laquelle une formation a été nécessaire. Cela a été le cas tant pour les infirmières et aide-soignants que pour les professionnels et les étudiants qui sont venus nous prêter main-forte.
Enfin, même si à l’hôpital nous sommes confrontés à la fin de vie et au décès de certains patients, l’augmentation de leur nombre est quelque chose qui peut être assez lourd à porter pour les équipes. Les psychologues de chaque service se sont mis au service des professionnels et des familles.
Parmi les instruments de détection du Covid-19, on parle beaucoup des tests et un peu moins des scanners. Lesquels utilisez-vous ?
Frédéric Bloch : Deux types de tests existent aujourd’hui et chacun d’entre eux a ses limites. Le test PCR par prélèvement naso-pharyngé permet de savoir si les patients sont porteurs du virus. Le test sanguin sérologique permet de savoir si une personne est immunisée contre le virus. Pour l’instant, seul le premier test est utilisé comme source principale de diagnostic du virus. 300 tests sont réalisés en moyenne par jour au CHU ; environ 9 400 tests ont été réalisés au 20 avril. Mais il n’est pas fiable à 100 % puisque dans certains cas, une personne peut très bien être porteuse du virus sans être détectée. Le second test, sérologique, vise à identifier l’immunité face au virus. A cette réserve près que nous ignorons pour l’instant la véritable durée de cette immunité et si une personne est encore contagieuse une fois immunisée.
Enfin, en ce qui concerne le scanner, celui-ci n’est pas un réel outil de diagnostic du Covid-19. Il s’agit plutôt d’un outil d’orientation à la prise en charge du patient. Il est ainsi très utilisé pour décider du transfert rapide en réanimation.
Dans leur travail, les soignants récoltent un certain nombre d’informations sur les patients dont ils s’occupent. A quoi cela va-t-il servir ?
Frédéric Bloch : Toutes les informations telles que la température, la fréquence cardiaque, la fréquence respiratoire, la tension artérielle, le taux d’oxygène dans le sang ou encore les prises de sang viendront nourrir un entrepôt de données qui sera mis à disposition des scientifiques et des chercheurs. Mais attention, au-delà de la base de données biologiques, les données cliniques ont aussi toute leur importance car l’évolution de la maladie reste assez inattendue et il est encore très difficile de prévoir quelles sont les personnes qui développeront des formes graves. Cette base de données a pour but de trouver le plus d’informations possible sur les marqueurs clinico-biologiques de gravité ou de protection pour les patients.
La date de fin du confinement a été fixée au 11 mai. Comment vous y préparez-vous ?
Frédéric Bloch : Pour l’hôpital, le déconfinement signifie qu’il va falloir organiser nos unités pour le redémarrage progressif de notre activité traditionnelle tout en étant prêt à accueillir de nouveaux patients atteints de Covid-19. Un défi qui nécessite d’anticiper le départ des personnels venus nous prêter main-forte et de décider des mesures permettant d’éviter une dissémination du virus. De ce point de vue, la grande capacité d’anticipation et d’adaptation du CHU Amiens-Picardie devrait encore faire ses preuves en utilisant par exemple, lorsque cela sera possible, la téléconsultation. De leur côté, les actes chirurgicaux programmés seront effectués en tenant compte de la contrainte du contingentement par l’état des produits nécessaires à l’anesthésie.
Interview réalisée par Gilles Petit, journaliste – Publiée le 6 mai 2020
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