Interview exclusive du Professeur de médecine et radiologue Elie Mousseaux à l'hôpital Georges Pompidou
Rencontre avec Elie Mousseaux, professeur de radiologie à la faculté de médecine de Paris et responsable de l’Unité Fonctionnelle d’Imagerie Cardiovasculaire Non Invasive de l’Hôpital Européen Georges Pompidou.
Dans sa la lutte contre l’épidémie de coronavirus, l’Assistance Publique-Hôpitaux de Paris (AP-HP) dispose de plusieurs armes. La plus méconnue du grand public reste sans doute l’utilisation des outils de radiologie, dont en particulier le scanner, dans le diagnostic de la maladie mais aussi pour le suivi de l’évolution des lésions pulmonaires provoquées par le Covid-19. Rencontre avec Elie Mousseaux, professeur de radiologie à la faculté de médecine de Paris et responsable de l’Unité Fonctionnelle d’Imagerie Cardiovasculaire Non Invasive de l’Hôpital Européen Georges Pompidou.
Vous êtes professeur de médecine et radiologue, comment participez-vous concrètement à la lutte contre le Covid-19 ?
Elie Mousseaux : En tant que clinicien-chercheur, je participe à l’animation d’une équipe de recherche à l’Inserm dans le centre de recherche cardiovasculaire accolé à l’hôpital Georges Pompidou. Mon travail consiste notamment à assurer l’interface entre l’univers de la recherche et celui des soins. Dans le cadre du Covid-19, je me suis impliqué dans le soin pour tenter de mieux comprendre la toxicité de ce virus. Au début de l’épidémie dans notre pays, nous ne disposions que d’informations en provenance de Chine. Ma première mission consistait à m’appuyer sur les soins prodigués et à comprendre par l’imagerie ce qui se passait pour les patients afin de fournir des informations utiles à mes collègues soignants.
On a souvent évoqué les tests dans les médias en tant qu’instrument de détection du Covid-19 et beaucoup moins le scanner. Pouvez-vous nous expliquer en quoi celui-ci est également essentiel ?
Elie Mousseaux : Au début de l’épidémie, le personnel médical chinois ne disposait pas de tests pour dépister le virus. Par contre, il s’est rapidement rendu compte que les scanners permettaient de faire un diagnostic facile et rapide du Covid-19. Ils n’ont pas hésité à en pratiquer un grand nombre sur l’ensemble du territoire infecté. Ce constat sur l’utilité du scanner a confirmé ce que nous avions déjà pu observer de notre côté dans le cas d’autres maladies graves. Aujourd’hui, la quasi-totalité des diagnostics sont réalisés grâce à la radiologie. C’est un fait que le grand public ignore. Voilà pourquoi dans la lutte contre la pandémie actuelle, les radiologues sont en première ligne. Evidemment, il ne s’agit pas de soumettre tout le monde à un scanner mais de poser un diagnostic sur les personnes présentant des symptômes importants d’essoufflement, de toux et de fièvre nécessitant une prise en charge hospitalière.
Quelles observations avez-vous pu faire sur les effets pulmonaires de cette maladie ?
Elie Mousseaux : Grâce au scanner thoracique, il est possible d’observer le premier signe de l’agression virale et sa diffusion. Au lieu d’avoir un poumon bien noir sur l’image, le poumon du patient présente des opacités en verre dépoli, comme une sorte de Voie Lactée. Plus le blanc prédomine, plus le cas est grave. Les anomalies observées grâce au scanner semblent bien corrélées avec la sévérité de l’atteinte clinique.
Quelle est la fréquence des examens radiologiques pour une personne malade du Covid-19 ?
Elie Mousseaux : La stratégie définie en radiologie est la suivante : dès que les symptômes deviennent importants, il est nécessaire de disposer d’un scanner « de référence ». Celui-ci permet non seulement de faire le bilan lésionnel pulmonaire et éventuellement cardiaque du patient mais également de mesurer la diffusion de cette agression. Autrement dit, notre rôle en tant que radiologue consiste à prévenir et à évaluer la gravité de la situation. Après ce premier scanner, les médecins-réanimateurs feront appel à des critères cliniques pour décider du traitement le plus approprié pour chaque patient. Du côté des radiologues, le travail ne s’arrête pas là puisque nous sommes aussi sollicités pour réaliser de nouveaux examens radiologiques afin d’apporter des réponses à des questions complexes. Suite aux observations faites par la communauté radiologique chinoise et européenne, nous avons aussi constaté qu’un certain nombre de patients atteints de Covid-19 présentaient un risque important d’embolie pulmonaire. Voilà pourquoi désormais le personnel soignant n’hésite plus à mettre systématiquement sous anticoagulants les malades ayant développé une forme grave de la maladie.
Dans quels autres cas de figure, la radiologie a-t-elle permis d’apporter des réponses au personnel soignant et aux chercheurs ?
Elie Mousseaux : Nous avons été sollicités sur les questions d’anosmie et d’agueusie, ces troubles du goût et de l’odorat qui ont été observés chez certains malades. Il était en effet important de déterminer si ce type de symptômes signifiait que les nerfs étaient touchés. Les imageries par résonance magnétique (IRM) que nous avons pratiquées nous ont permis de conclure qu’il s’agissait d’atteintes périphériques et que de fait les patients pouvaient recouvrir leurs sens au bout de plusieurs jours.
Pour prolonger votre question et la tourner vers l’avenir, nous travaillons aujourd’hui sur les risques d’infarctus liés au Covid-19. Il semble en effet que, comme cela soit déjà le cas avec la grippe saisonnière, la probabilité de mortalité cardiovasculaire augmente chez les patients malades du virus. Plus fiables que l’électrocardiogramme, nous utilisons donc des IRM cardiaques pour tenter d’apporter des réponses à nos collègues cardiologues sur ce sujet.
L’imagerie peut-elle aussi être utilisée pour évaluer l’état de santé des patients guéris ou considérés comme tels ?
Elie Mousseaux : Tout à fait. Pour ce faire, nous disposons en médecine de ce que nous appelons une cohorte observationnelle. Celle lancée par l’Inserm a été baptisée French Covid-19. Constituée de patients hospitalisés en raison de symptômes graves liés à la maladie, elle avait au départ pour but d’améliorer la connaissance des caractéristiques cliniques des formes nécessitant une hospitalisation et d’identifier les facteurs prédictifs de gravité afin d’améliorer la prise en charge des futurs patients. Désormais, cette cohorte va également permettre un suivi sur le long terme car nous avons constaté, comme dans le cas de la grippe, que les poumons peuvent mettre du temps à cicatriser.
Sur la base du volontariat des personnes touchées, nous ferons donc passer des épreuves fonctionnelles respiratoires, des tests sérologiques, un prélèvement naso-pharyngé et des scanners à distance (1 mois et 3 mois). Ce travail d’évaluation et de comparaison nous permettra de nourrir un peu plus nos connaissances sur le sujet.
Les données que vous recueillez vont-elles permettre d’alimenter l’entrepôt de données de l’AP-HP ?
Elie Mousseaux : Oui, bien entendu. Tout comme c’est déjà le cas pour nos autres collègues, l’imagerie médicale constitue une source d’informations importante pour l’entrepôt de données développé par l’AP-HP où figurent tous les patients atteints du Covid-19. Tous nos actes sont ainsi codifiés et mis en rapport avec les dossiers cliniques des patients. Un long travail d’analyse va se mettre en place et nous devrions pouvoir bénéficier de l’aide de l’intelligence artificielle pour analyser, comparer et croiser la grande quantité d’images pulmonaires dont nous disposons avec les données cliniques. Ce type d’étude va nous permettre de développer significativement nos connaissances, en particulier pour ce qui concerne la relation entre l’inflammation et la maladie. Les retombées en termes de savoir vont être énormes.
Interview réalisée par Gilles Petit, journaliste – Publiée le 14 mai 2020
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