Un lien entre vous et nous ~ Mai 2022
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Le patient entre dans l’ère numérique
Serons-nous bientôt soignés par des machines ?
Popularisée par la crise sanitaire, la téléconsultation, partie la plus visible de l’e-santé, s’appuie sur les nouvelles technologies du numérique. La médecine moderne, cadencée par des algorithmes, n’a pas fini de nous surprendre. Biotechs, génétique, chirurgie robotique et intelligence artificielle bouleversent les soins médicaux. Le FIL AGIPI vous propose un tour d’horizon de la médecine de demain, déjà à l’œuvre aujourd’hui.
 
La technologie pour se soigner.
Depuis la crise sanitaire de la Covid-19, beaucoup de Français ont opté pour la consultation de leur médecin à distance. Les téléconsultations se sont avérées particulièrement utiles pour les personnes vivant en zone rurale manquant de soignants.

Mais elles ne sont qu’une des possibilités offertes par les technologies de l’information et de la communication (TIC) et le développement des applications mobiles. La téléexpertise donne, par exemple, la possibilité à un généraliste de demander conseil à distance à un spécialiste, en lui transférant les données du patient. La téléassistance, elle, permet à un soignant de solliciter l’avis d’un confrère sur un patient. Il est aussi désormais possible d’analyser à distance des données médicales de santé d’un patient grâce à la télésurveillance médicale. Très utile dans les cas de maladies chroniques ou de pertes d’autonomie, elle permet au corps médical de suivre un patient grâce à des capteurs placés directement sur lui. Ces derniers mesurent, par exemple, des pulsations cardiaques et sont reliés à un smartphone qui transmet les données recueillies en temps réel à une équipe médicale.

Les dossiers médicaux partagés (DMP) sont une autre innovation de la télésanté. Ces espaces stockent toutes les données d’un patient qui peuvent être ainsi facilement échangées. Le gain de temps dans la transmission de ces informations permet de déclencher plus rapidement une réponse adaptée à une problématique de santé.
Le docteur Antoine Poignant, co-fondateur de Connected Doctors, revient pour AGIPI sur les enjeux de cette nouvelle médecine numérique :
La rencontre de la « tech » et de la « bio ».
Les montres connectées sont une version commune et accessible de la télésurveillance médicale. Il existe bien d’autres prouesses technologiques comme, par exemple, les pansements intelligents et connectés à base de graphène : nanomatériau constitué d’un seul plan d’atomes de carbone, le rendant très léger et flexible. Équipés de minuscules composants électroniques à usage unique, ils vont transmettre des données à une application mobile. L’équipe médicale peut ainsi contrôler à distance le stade de cicatrisation des plaies et être alertée en cas d’infection. Dans cet exemple, la biologie est pleinement intégrée à la haute technologie.

Si la recherche travaille sur les biocapteurs, elle développe aussi d’autres biomatériaux qui élargissent le champ des possibles. Certains d’entre eux, parfois résorbables, favorisent même la régénération des tissus. Une bioprothèse mammaire imprimée en 3D participe par exemple à la reconstruction du sein à la suite d’une mastectomie. Le processus est simple : une fois la prothèse placée, les propres cellules de la patiente vont prendre le relais et recréer du tissu mammaire alors que la bioprothèse se résorbera.

L’impression 3D offre d’autres possibilités comme celle de préparer un médicament, à l’aide d’ingrédients présents dans une pharmacie et agrégés sur place par l’imprimante. Il s’agit là d’une voix ouverte à un traitement personnalisé des patients tout en réduisant les risques.
Si médicaments et prothèses s’impriment aujourd’hui, le prochain défi est la fabrication d’organes à partir des cellules souches du patient. Une innovation qui limiterait les risques de rejet et résoudrait les difficultés à trouver un donneur.
Opérer avec l’assistance d’un robot.
Depuis quelques années, les robots ont fait leur entrée dans les salles d’opération, offrant la possibilité aux chirurgiens d’opérer à distance. En 2001, le professeur Jacques Marescaux, pionnier de la chirurgie robotique, avait retiré la vésicule biliaire d’une patiente située à Strasbourg, depuis New York. Au-delà de ces opérations « téléguidées », les robots apportent une aide directe à la médecine grâce à la précision qu’ils procurent aux chirurgiens dans leurs gestes. En 2017, à Amiens, la pose robotisée d’une vis sur un enfant souffrant d’une amyotrophie spinale génétique (scoliose) fut une première mondiale. De manière générale, l’utilisation du robot permet une vision en trois dimensions et moins de douleurs postopératoires car la précision rend les incisions moins grandes. Le robot apporte une assistance précieuse aux chirurgiens. Il ne saurait les remplacer mais exige d’eux une formation spécifique pour être piloté.
Les gènes de la santé.
Le génie génétique évolue de manière exponentielle. S’appuyant, lui aussi, sur les nouvelles technologies, il devient porteur de nombreux espoirs, notamment dans le traitement de certains cancers et maladies rares. Les « ciseaux moléculaires », capables d’intervenir sur l’ADN afin de le « réparer », permettent de créer des thérapies géniques personnalisées en modifiant le cœur des cellules.

Les récentes recherches sur l’immunothérapie du laboratoire suisse Novartis ont ouvert le développement d’un nouveau protocole : des cellules immunitaires sont prélevées sur le patient, puis réintroduites après avoir été génétiquement programmées pour s’attaquer à des formes de leucémies. Avec un taux de rémission de 83 % sur les trois premiers mois (panel de 63 patients seulement), ces cellules dites « CAR-T » sont prometteuses, bien que coûteuses.
La révolution par l’image.
Ces trente dernières années, l’imagerie médicale a évolué et permet désormais de détecter mieux, et plus tôt, les dysfonctionnements de nos organismes. Si les nouvelles technologies améliorent la captation, le traitement et la transmission des images médicales de diagnostic, elles permettent également de produire des images de synthèse destinées aux soins et aux interventions. 

Plusieurs projets de production d’imageries moins communs sont soutenus financièrement par le Fonds de Dotation AGIPI. C’est le cas de l’utilisation de la réalité virtuelle, dans le service pédiatrie du CHU de Nancy. Celle-ci aide à la prise en charge des douleurs au moment des soins aigus. Le jeune patient change d’environnement en se trouvant en immersion dans un univers glacé et ludique. L’attention de l’enfant est alors dirigée sur cet univers et non sur sa douleur.

Second exemple, le CHU de Tours se sert de la réalité virtuelle pour proposer un voyage immersif et ludique afin d’aider la rééducation des patients souffrant de déficiences motrices ou psychologiques. Cet outil augmente l’acceptation de l’effort, aide à prendre une part plus active aux soins de rééducation et permet d’établir un contact plus aisément.

Autre dispositif ayant reçu le soutien financier du Fonds de Dotation AGIPI : le projet de l’hôpital Trousseau à Paris pour les patients drépanocytaires. La drépanocytose est une maladie génétique entraînant une anomalie de structure de l’hémoglobine. La douleur de la crise drépanocytaire est l’une des plus intenses qui puisse être décrite. Elle se localise le plus souvent au niveau des os. L’objectif du programme de réalité virtuelle est de faire baisser le niveau de douleur et d’anxiété ainsi que la consommation d’antalgiques. Il permet de montrer au patient qu’il a la capacité de faire face émotionnellement à ces crises douloureuses et anxiogènes.

Le jeu vidéo est un autre outil utilisé pour aider les personnes âgées ou rencontrant des difficultés de mobilité. Les gameplayskinésithérapeutiques incitent, par le jeu, les patients à travailler leurs mouvements et à retrouver de l’agilité.
L’intelligence artificielle : soigner avec les données.
Depuis l’Antiquité, la médecine occidentale est le plus souvent une médecine curative, reposant sur le soin à la suite de la venue de symptômes. Ainsi, le patient ne consulte que lorsque ces derniers apparaissent. Or, certains symptômes ne sont pas toujours perceptibles et quand ils le sont, la maladie est déjà bien installée. L’intelligence artificielle (IA, AI en anglais) a pour ambition de permettre de détecter leur survenance le plus tôt possible, afin d’éviter un retard dans le début du traitement. Grâce aux données du patient (le big data) analysées par un programme intelligent, le médecin aura la possibilité d’anticiper la maladie et ainsi de mieux la combattre.

Cette médecine préventive permettra aux patients de demain de « vivre dans le silence des organes », définition de la santé que donnait le philosophe et médecin Georges Canguilhem en 1943.
Problèmes d’accès, de coût et d’éthique.
Toutes ces innovations portent la promesse d’une meilleure santé. Néanmoins, la venue de ces nouvelles technologies pose des questions sociétales de poids.

L’accessibilité à tous est un sujet de premier ordre. La télémédecine nécessite la possession d’un smartphone ou d’un ordinateur, ainsi que la maîtrise de certains outils numériques. Les personnes isolées, désocialisées, trop démunies financièrement, se retrouvent exclues d’un accès aux soins se voulant pourtant facilité par le numérique.

Autre problématique, celle du coût. Par exemple, le traitement génétique des cellules « CAR‑T » (évoqué plus haut) s’élève à 400 000 euros par patient. Une autre thérapie génique, luttant efficacement contre une rare dégénérescence de la rétine, permet d’éviter la cécité. Mais là aussi, le coût de 800 000 euros est faramineux. Ces deux exemples, parmi des milliers d’autres, posent la limite du progrès.

Enfin, la collecte, le stockage et le partage de données personnelles et confidentielles suscitent des interrogations. Les nombreux piratages informatiques démontrent notre vulnérabilité sur ce sujet. Le lancement récent par les pouvoirs publics de « Mon espace santé », carnet de santé numérique permettant de stocker et de partager ses documents et données de santé, inquiète de nombreux patients. En effet, certains dénoncent un cloisonnement des informations insuffisant selon le type d’activité des soignants. La mise en danger du secret médical par une facilité d’accès à des informations intimes est crainte.

En conclusion, la e-santé présente des perspectives prometteuses pour accompagner la transformation du système de santé et proposer aux patients une médecine toujours plus efficace, à condition de toujours veiller à la développer dans le respect des règles éthiques. Les professionnels de santé resteront au cœur du système puisqu’il y aura toujours besoin de médecins pour analyser et recouper les données, et accompagner les patients.