Les différentes réponses au Covid-19 dans le monde

Alain de Chalvron, grand reporter, a été correspondant à Beyrouth pour France Inter et ancien directeur de la rédaction de RMC, France 2 et de RFI.

Il a été correspondant de France 2 à Rome (1994-2000), au Moyen Orient (2000-2003), à Washington (2003-2010) puis à Pékin (2010-2016).
Dans cet article, il propose une analyse des différentes réponses au Covid-19 dans le monde. 
 
« Vérité en-deçà de Pyrénées, mensonge au-delà ». La Maxime de Pascal s’applique parfaitement au Coronavirus. Chaque pays a répondu à l’épidémie mondiale à sa manière, en fonction de sa propre culture, de ses moyens et de son système politique.
 
 

La réponse à l’épidémie Covid-19 est différente selon les pays ; est-elle d’abord idéologique ?

C’est un des critères mais pas l’unique. Il y a une fracture entre démocraties et dictatures. Les régimes populistes ont également leurs spécificités.

La Chine, d’où tout est parti, a réagi à sa manière, extrêmement autoritaire, sans considération pour les règles les plus élémentaires de protection des libertés. Sa politique est faite d’abord d’un confinement drastique. Wuhan et sa province, le Hubei, ainsi que certaines grandes villes ont été mis sous cloche. Les habitants n’avaient aucun droit de sortir de chez eux, même pour s’alimenter. Certains récalcitrants ont vu la porte d’entrée de leur logement scellée au chalumeau. Cela signifiait un ravitaillement extérieur effectué par les cellules du Parti communiste du quartier. Le déconfinement - très progressif - a été doublé par un traçage systématique de la population par smartphone permettant de connaître les activités de chacun. Chaque habitant des zones concernées s’est vu attribuer un code, vert ou rouge, lui donnant la possibilité de se rendre (ou pas) dans tel ou tel endroit. Il était également possible de voir s’il y avait eu un contact avec un porteur de virus.

Le pays est habitué à ce type de contrôle même en dehors des crises sanitaires. Des millions de caméras, couplées à des systèmes de reconnaissance faciale permettent à la police de savoir à tout moment ce que fait X ou Y. Ces informations alimentent le dossier personnel de chacun qui fonctionne comme un permis à points : les « infractions » qui peuvent être des signes de défiance à l’égard du parti font perdre des points. Inversement les « bonnes actions » donnent des points.

XI Jinping, le numéro un chinois, à la fois patron du Parti et président de l’Etat, présente ce modèle comme le meilleur et le plus efficace pour lutter contre une épidémie et d’une façon générale, pour diriger un pays. Une gigantesque campagne de propagande en ce sens a été lancée à travers le monde entier. Menée de façon trop agressive et polluée par des mensonges sur la réalité des résultats de la stratégie chinoise de lutte contre le virus, cette campagne est en train de se retourner contre ses instigateurs.

 

Et les régimes populistes ?

Les populistes ont en commun d’avoir nié trop longtemps l’existence même d’un péril. Donald Trump, négationniste au départ, a dû reconnaître la réalité du virus devant l’accumulation de morts sur son territoire, tandis que son homologue brésilien, Jair Bolsonaro continue à nier l’évidence, quitte à perdre son ministre de la santé. Brésil et États-Unis sont des fédérations, ce qui a permis à certains gouverneurs d’Etats de prendre la relève... mais un peu tard. Les deux chefs d’Etat ont en commun l’utilisation massive dans cette crise de la désinformation, des gestes provocateurs et des solutions fantaisistes. La palme revient sans conteste à l’Américain lorsqu’il propose de « faire entrer la lumière dans le corps par la peau » (sic) ou « d’injecter des désinfectants dans le corps ». Le dictateur de la Biélorussie Alexandre Loukachenko préconise, quant à lui, la vodka comme remède contre le Covid-19, ce qui est, somme toute moins dangereux que l’eau de javel à avaler recommandée par Donald Trump.

Les dirigeants populistes ont également souvent en commun leur obsession de faire passer l’économie avant la santé de leurs concitoyens.

Certains gouvernements populistes comme ceux de Pologne et de Hongrie ont profité de l’occasion pour renforcer leur pouvoir. Le Premier ministre hongrois a fait voter un état d’urgence lui permettant de légiférer par décret sans limite de durée. Il a fait appel à l’armée, notamment pour protéger les hôpitaux, et interdit aux Roumains de passer par la Hongrie pour rejoindre leur pays au début du confinement alors que les deux pays sont membres de l’Union Européenne.

En Pologne, le PiS, parti ultra conservateur au pouvoir, a fait voter une loi modifiant le code électoral, qui permettrait de généraliser le vote par correspondance pour la prochaine élection présidentielle prévue pour le mois de mai. Ce sera donc un scrutin sans bureau de vote et sans urne, uniquement par voie postale, contraire à la constitution selon les partis d’opposition. Mais le PiS, qui caracole en tête des sondages, veut absolument profiter de sa popularité actuelle pour faire élire son candidat.

 

Et les démocraties classiques ?

Les démocraties européennes se sont caractérisées par l’impréparation. Elles ont toutes été prises de court par la rapidité et la virulence de l’épidémie. Elles ont tragiquement tardé à prendre des mesures de confinement simples comme l’interdiction des rassemblements. En Italie, en Espagne ou en France on a ainsi vu apparaître des « clusters » qui ont permis au virus de se multiplier de façon exponentielle. Que l’on ait laissé se tenir des matchs de football ou des grands rassemblements religieux alors que le virus était déjà en masse en Europe relève d’une totale inconscience.

Devant cette situation et en l’absence de stocks de masques, les pays « cigales » du Sud de l’Europe ont eu pour préoccupation essentielle de soigner les personnes infectées sans que leur système de soins ne soit submergé. L’Italie a eu beaucoup de difficultés à l’éviter et a dû, parfois, faire un tri entre les malades à soigner et ceux qu’on délaisse. La France s’en est mieux sortie, grâce à des transports de malades à travers le pays et une aide précieuse d’hôpitaux allemands, suisses et luxembourgeois.

Les mesures de confinement ont fini par se révéler efficaces, mais ne peuvent pas être prolongées indéfiniment pour des raisons économiques, sociales et relevant de la santé mentale des populations. Le déconfinement se révèle alors extrêmement complexe et hasardeux.

 

Parmi ces démocraties, l’Allemagne et certains pays européens comme l’Autriche ou le Danemark ont une place à part. Le confinement y a été moins drastique qu’ailleurs, en faisant appel au civisme et surtout au ciblage des populations à risque. L’Allemagne a, dès le début de la crise, lancé un programme de dépistages massifs, par tests PCR, qui ont permis de neutraliser les personnes infectées et d’éviter ainsi une trop grande diffusion du virus. Elle a pu le faire grâce à la mobilisation d’une partie de son industrie qui a fabriqué des tests en grand nombre. Le nombre de personnes contaminées et surtout le nombre de décès, ont été moins élevés qu’ailleurs. Le déconfinement a ainsi été plus précoce. Les écoles ont même été rouvertes au Danemark dès le 15 avril.

 

Des pays asiatiques avec une même stratégie que les démocraties du Nord de l’Europe ?

Oui du moins des quatre « pays » les plus liés à la Chine, Singapour, Hong Kong, Taiwan et la Corée du sud. Ces entités (Taïwan et Hong Kong ne sont pas reconnus comme « Etats ») avaient l’avantage d’être plus préparées que le reste du monde. Elles avaient subi les effets du SRAS et de la grippe aviaire au cours des deux décennies précédentes et savaient qu’il y aurait un jour ou l’autre une nouvelle épidémie venue de Chine. Elles avaient donc une stratégie définie à l’avance et les moyens de l’appliquer.

C’est particulièrement vrai pour Taïwan qui a appliqué son plan préétabli dès le 31 décembre, le lendemain même de la révélation par le gouvernement chinois de l’apparition de la maladie à Wuhan. D’abord un contrôle sanitaire pour les passagers d’avions provenant de la province du Hubei, avant l’interdiction de tous les vols de Chine continentale ; mise en quarantaine, sélective puis généralisée, des passagers arrivant de Chine ; multiplication des tests ; traçage systématique et obligatoire par téléphone portable avec des sanctions sévères pour les ruptures de quarantaine ; et, naturellement, port du masque. Ce cocktail de mesures qui ne comprend pas un confinement généralisé a permis à Taïwan de limiter à 393 le nombre de cas dénombrés dans l’île, avec seulement six morts, sans paralyser complètement son économie, alors même qu’elle était a priori le territoire le plus vulnérable en raison de l’imbrication de son économie avec la Chine. 850 000 Taïwanais travaillent de l’autre côté du détroit de Formose.

Ces recettes ont été reprises par les autres voisins de l’Empire du milieu, certains comme la Corée du Sud insistant plus sur les tests, d’autres comme Singapour privilégiant le traçage, mais tous ont ainsi réussi à limiter l’impact létal et économique de l’épidémie.

 

Et l’immunité collective ?

C’est la stratégie qui consiste à laisser filer l’épidémie jusqu’à ce que 60 ou 70 % de la population soit infecté. Le virus est supposé alors disparaître de lui -même. L’avantage de cette stratégie est qu’elle ne met pas l’économie en panne. Mais son inconvénient est qu’elle est terriblement létale. Pour la France cela signifierait environ 45 millions de personnes contaminées. Le taux de mortalité étant de 2 %, cela ferait 900 000 morts et sans doute beaucoup plus car les services hospitaliers seraient submergés.

 

C’est pourtant cette solution, aménagée pour limiter la mortalité par quelques mesures comme le confinement des seniors, qu’avait retenue le gouvernement britannique. Devant la perpective d’une hécatombe historique Boris Johnson - lui-même infecté par le Covid-19 - a fait marche arrière et a choisi finalement une solution semblable à la France, mais le temps perdu risque de se payer très cher.

Donald Trump et Jair Bolsonaro auraient sans doute bien voulu choisir cette option qui se serait traduite par des millions de morts mais ils ont été contredits par les gouverneurs d’Etat ou de Province. Les Pays-Bas ont au début de la crise voulu faire également le choix de cette stratégie. Ils ont finalement instauré un confinement souple et fait appel à la responsabilité personnelle des citoyens. Au total la mortalité se situe dans la moyenne élevée européenne.

Il n’y a finalement que la Suède qui ait tenu bon sur cette politique. Les vols aériens ont été maintenus et les frontières ouvertes. Il n’y a pas d’assignation à résidence ni d’impératifs à rester chez soi. Le gouvernement social démocrate n’a pas limité les activités professionnelles, n’a pas fermé les écoles, hormis les lycées et les universités, qui pratiquent l’enseignement à distance. Il n’a pas fermé les lieux courants de vie citadine : cinémas, restaurants, salles de sport, bibliothèques, centres commerciaux, transports publics et cafés. Mais il a fait des recommandations d’observer des comportements de distanciation, d’hygiène, de rester le plus possible à la maison, de choisir le télétravail, d’éviter les déplacements, etc., tout ce qui chez la plupart des partenaires européens de la Suède était obligatoire. Et ces recommandations ont été largement suivies par la population. C’est le contrat social suédois qui régit le pays depuis des siècles : consensus et responsabilité individuelle, plutôt qu’autorité et contrainte.

Le but de cette politique unique au monde est :

1. De laisser le virus se propager lentement dans la population pour obtenir une sorte d’immunité collective dans quelques mois. Pour les autorités suédoises c’est préférable au confinement strict des autres pays qui, selon elles, ne fera qu’aboutir à des vagues successives et récurrentes de contaminations.

2. De préserver autant que possible l’économie, bien qu’elle soit sévèrement touchée par l’arrêt général de l’économie dans le monde.

 

Pour l’heure, la Suède se place au dixième rang mondial pour son taux de mortalité : 17,3 décès pour 100 000 habitants. Un mauvais résultat comparé à ses voisins, le Danemark, la Norvège et la Finlande, qui se classaient respectivement aux 17e, 22e et 31e rangs mondiaux, avec 6,4, 3,4 et 2,6 décès pour 100 000 habitants.

Mais un des promoteurs de cette politique, Tom Britton de l’agence nationale de santé publique suédoise, la Folkhälsomyndigheten, estime qu’à la fin de l’année le pourcentage de la population ayant été en contact avec le virus sera de 50 %, proche, donc, de l’immunité collective.

C’est à voir.

 
Article rédigé en partenariat avec Exiom Partners – le 7 mai 2020