Le 21 mai dernier, l’INSEE a publié l’édition 2025 de son enquête quinquennale “Emploi et revenus des indépendants”, dressant un panorama statistique détaillé et actualisé. Cette actualité relance la question centrale de la protection sociale des indépendants : alors que de nouvelles règles de calcul des cotisations entreront en vigueur dès 2025, comment sont réellement réparties leurs contributions et à quels droits sociaux ouvrent-elles accès ?
Face à l'évolution structurelle du monde du travail et à la diversification des formes d'entrepreneuriat, le système de protection sociale des travailleurs indépendants se trouve confronté à un défi majeur : concilier l'impératif de soutenabilité avec la nécessité d'offrir des garanties équitables, sans freiner la dynamique entrepreneuriale.
Les indépendants, un pilier économique sous représenté
Les travailleurs indépendants représentent 13 % de la population en emploi (INSEE, 2025) et jouent un rôle moteur de la vitalité entrepreneuriale du pays. Ils sont à l’origine de près d’un tiers des créations nettes d’emplois (DARES, Chiffres 2022-2023) et incarnent une grande diversité de parcours, de statuts et des projets d’envergures plurielles : professions libérales, artisans, freelances, agriculteurs, micro-entrepreneurs, gérants de TPE-PME, etc. Leur apport à l’économie de cesse de croître, rendant d’autant plus stratégique la question de leur protection sociale.
Lorsqu’il est question de retraite ou d’assurance chômage, les travailleurs indépendants sont rarement au cœur des débats publics. Cette plus faible visibilité s’explique par leur poids relatif de la population active : moins nombreux que les salariés, ils contribuent à hauteur de 7 % des recettes totales de la protection sociale. Cette situation tient également dans le modèle historique du travail du pacte social les plaçant dans une position hybride entre salariat et entreprise. Cette configuration particulière reste propre au modèle français, contrastant avec des pays comme ceux de l’Europe du Nord, où les indépendants sont inclus dans des régimes universels financés par l’impôt. En France, s’ils ont accès aux prestations non contributives (comme les allocations familiales), leur couverture reste plus limitée pour les droits dépendant directement de leurs cotisations (retraite, assurance maladie, chômage). (source : DRESS, La protection sociale en France et en Europe en 2022)
Une contribution différenciée au financement de la protection sociale
Selon la Commission des comptes de la Sécurité sociale (CCSS, rapport 2023), les cotisations assises sur les salaires représentaient 72 % des recettes totales de la protection sociale en 2022, contre 8 % pour celles issues des revenus des travailleurs non salariés (TNS) relevant de la Sécurité sociale des indépendants, soit respectivement 489 milliards d’euros et 54 milliards d’euros. À l’échelle individuelle, les niveaux de prélèvement diffèrent également : un salarié moyen est soumis à un taux global de 45,3 % sur son salaire brut (en incluant part salariale et patronale), tandis qu’un travailleur indépendant (hors régime micro-entreprise) acquitte en moyenne 34,6 % de cotisations sur son revenu professionnel net. Ces différences s’expliquent par la nature même des statuts, les indépendants assumant à la fois le rôle de l’employeur et celui du salarié.
Couverture sociale : des écarts persistants avec les salariés
Le pacte solidaire ne fonctionne pas comme une balance invisible : chaque euro de cotisation en moins ne se traduit pas par une protection amputée. Pour autant, les inégalités persistent.
- L'assurance chômage, limite l'accès à l'allocation spécifique de 800 €/mois pour les TNS sur 6 mois maximum contre 57 % du salaire journalier pour les salariés et 24 mois pour les moins de 53 ans. Pour y prétendre, les indépendants doivent se tourner vers l’Allocation des Travailleurs Indépendants (ATI), soumise à des conditions draconiennes : deux ans d’activité ininterrompue, un revenu annuel moyen d’au moins 10 000 € et une liquidation judiciaire de leur entreprise.
- Indemnités journalières maladie : alors que les salariés bénéficient de 50 % de leur salaire journalier, les indépendants doivent justifier d’un an d’affiliation à la Sécurité sociale et d’un revenu plancher équivalent à 10 % du Plafond Annuel de la Sécurité sociale (PASS) soit 4 383,20 € annuels en 2025, avec des indemnités plafonnées à 63,52 €/jour et une durée maximale d’indemnisation de 360 jours sur trois ans.
- Le régime de retraite des indépendants creuse encore les écarts avec les salariés, avec des pensions moyennes inférieures de 23 %. Leur pension brute mensuelle atteint 1 180 € contre 1 540 € pour l’ensemble des retraités et les disparités sont abyssales : 810 € pour les agriculteurs contre 2 570 € pour les professions libérales. Les cotisations, calculées sur une assiette plafonnée, représentent 17,75 % du revenus.
Réformes et statuts hybrides : vers une protection sur-mesure
Face à la diversification des formes de travail et aux parcours professionnels de plus en plus variés, le Haut Conseil au financement de la protection sociale (HCFiPS) réfléchit à une refonte du système social pour mieux protéger tous les travailleurs :
- harmoniser les cotisations sociales. La création d'une assiette unique pour toutes les cotisations et contributions sociales. Cette assiette serait calculée sur le chiffre d'affaires, déduction faite des frais professionnels et d'un abattement forfaitaire, permettant ainsi une approche plus équitable entre salariés et indépendants.
- clarifier certains statuts juridiques assimilés au salariat. Pour résoudre les ambiguïtés actuelles, le rapport préconise de légiférer sur les règles de rattachement entre statut salarié et indépendant. L'objectif est d'assurer une cohérence durable entre le droit du travail et la Sécurité sociale.
- mieux accompagner les indépendants : le HCFiPS propose un ensemble de mesures concrètes : l'extension de l'exonération ACRE à deux années pour faciliter le démarrage d'activité, l'homogénéisation des assiettes de CSG et des cotisations contributives afin de garantir une équité de traitement avec les salariés, ainsi qu'une simplification drastique des démarches administratives. Ces réformes s'accompagneraient d'une amélioration globale de l'offre de services aux contribuables et d'un meilleur accès aux droits sociaux, créant ainsi un écosystème plus favorable et protecteur pour l'entrepreneuriat indépendant.