Pour ce numéro du FIL AGIPI, Jean-Louis Laforge, directeur général délégué de la société de gestion AXA Investment Managers Paris, nous donne des clés de lecture et décrypte ce que seront les grandes tendances économiques pour cette année.

Sommaire

L’économie mondiale en 2023 : une inflation en baisse, des banquiers centraux qui restent sur leurs gardes et une croissance économique plutôt résiliente dans ce contexte.

Bien que l’inflation (1) ait atteint son pic en 2022, l’année 2023 a débuté avec la poursuite du resserrement monétaire par les banques centrales (2), qui craignaient une persistance de l’inflation par des « effets de second tour », comme par exemple une augmentation des salaires alimentant aussi l’augmentation des prix. Dans la plupart des régions, les taux d’inflation ont continué à diminuer, tout en restant supérieurs aux niveaux cibles des autorités monétaires. Ce resserrement des politiques monétaires (3) a ajouté des vents contraires à l’activité économique, mais les récessions parfois anticipées n’ont pas eu lieu. La hausse des taux a entraîné un certain nombre de faillites de petites banques régionales aux États-Unis en mars, mais la contagion a été contenue. L’activité mondiale s’est poursuivie en dépit du conflit au Moyen-Orient, resté localisé.

Tour du monde économique en trois régions

En zone euro, l’inflation a fortement diminué, passant de 9,2 % à la fin de 2022 à 2,9 % à la fin de 2023, grâce à la baisse des prix mondiaux de l’énergie et à une amélioration des chaînes d’approvisionnement mondiales. Cette baisse reflète également un affaiblissement significatif de l’activité économique dans la région, une récession ayant été évitée de justesse. La séquence des croissances trimestrielles depuis le quatrième trimestre 2022 traduit effectivement une stagnation : – 0,1 %, + 0,1 %, + 0,1%, – 0,1 %, 0 % ! L’activité a quelque peu divergé au sein de l’union monétaire, l’Allemagne industrielle étant le pays le moins performant, en raison de sa dépendance aux approvisionnements énergétiques russes et à l’économie chinoise. L’Espagne a été le pays le plus dynamique. La Banque centrale européenne (BCE) a continué de relever son taux de dépôt à 4 % en septembre (contre 2 % fin 2022).

Les États-Unis, en revanche, ont surpris en affichant une croissance relativement résiliente tout au long de l’année 2023, même si la Réserve fédérale (4) (ou la Fed ; banque centrale des États-Unis) a continué à resserrer sa politique. L’économie a connu une croissance légèrement supérieure à sa tendance au premier semestre (2,2 % en rythme moyen annualisé) avant d’afficher une forte hausse les deux derniers trimestres (4,8 % et 3,3 % en rythme annualisé), favorisée par la situation financière confortable des consommateurs. Malgré une croissance toujours solide, les déséquilibres du marché du travail ont continué à se résorber, ce qui a permis à l’inflation de continuer à baisser pour atteindre 3,4 % en décembre (contre 6,5 % à la fin de 2022). La Réserve fédérale a porté la fourchette cible de ses taux directeurs à 5,25-5,50 % en juillet (contre 4,25-4,50 % fin 2022), les membres de la Fed ayant considéré, dans une communication officielle, que les taux étaient « à leur maximum ou proches de celui-ci ».

En Asie, la Chine a dominé les préoccupations. L’arrêt étonnamment soudain de la politique du zéro Covid fin 2022 a contribué à une forte expansion de l’économie de + 2,3 % en rythme annualisé au premier trimestre 2023. Toutefois, les ménages sont sortis de la pandémie avec un confort financier plus faible que leurs homologues occidentaux et les difficultés ont persisté, en particulier dans le secteur immobilier. L’activité n’a pas pu soutenir cette forte croissance, ce qui a conduit les autorités gouvernementales à intervenir, avec un soutien budgétaire du gouvernement à l’activité économique. Ces mesures semblaient avoir soutenu la croissance annuelle en Chine, jusqu’à l’objectif du gouvernement « d’environ 5 % ». Notons la situation très particulière de la Chine au regard de son inflation, avec une baisse des prix de – 0,3 % en 2023.

Quelles perspectives économiques pour 2024 ? Trois points clés :

  • Après une année 2023 relativement résiliente, nous attendons un ralentissement de la croissance mondiale en 2024, ressemblant plus à un atterrissage en douceur qu’à une récession. L’économie devrait rebondir en 2025.
  • Les banques centrales vont probablement laisser inchangées leurs politiques monétaires à court terme, mais avec plus de confort au niveau de l’évolution des prix, elles devraient assouplir leur discours et implémenter des premières baisses de taux dans la deuxième partie de 2024.
  • Plusieurs élections sont prévues en 2024, mais la course à la présidence américaine sera sûrement la plus scrutée.

Pour les économies occidentales, nous envisageons plutôt un atterrissage en douceur de la croissance économique. En ce qui concerne les États-Unis, nous anticipons une phase de ralentissement, menée par la normalisation des dépenses de consommation après la forte croissance de l’été. L’économie devrait ainsi ralentir autour de 1,4 % en 2024 et reprendre un peu d’allant en 2025 (1,6 %). Avec une légère contraction du marché de l’emploi, l’inflation devrait atteindre la cible de la Fed en 2025. Nous prévoyons des baisses de taux modestes (trois cette année, deux l’année prochaine).

La zone euro devrait rester engluée dans un certain marasme économique, toujours impactée par des problèmes d’offre, en particulier la normalisation lente des chaînes de valeurs (approvisionnement, production, distribution), le coût de l’énergie, les difficultés de recrutement, et une demande en faible croissance. Cela devrait constituer l’unique relais de croissance mais il devrait s’améliorer à mesure que l’inflation diminuera au cours des 18 prochains mois. Ainsi, nous prévoyons une croissance du PIB (5) de seulement 0,3 % en 2024, avant de remonter à 0,8 % en 2025. Toutefois, même ces perspectives modérées ne devraient pas générer une forte baisse de l’inflation dans l’immédiat, la faible croissance de l’offre empêchant les prix de se normaliser rapidement. Nous voyons l’inflation revenir à l’objectif vers la mi-2025. Dans ce contexte, la BCE (6) devrait assouplir sa politique monétaire, nous prévoyons une première baisse de taux en juin 2024, pour terminer à 3,25 % fin 2024 et à 2,75 % fin 2025.

En Chine, la dépendance de l’économie à l’égard des aides fiscales et d’infrastructure provoque un déséquilibre et une mauvaise répartition des ressources, ce qui affecte les perspectives de croissance à long terme. Le remède consisterait à mettre en œuvre des réformes favorisant une économie de marché. Mais cela semble aller à l’encontre de la volonté de XI Jinping de maintenir un maximum de contrôle. Nous prévoyons une baisse de la croissance à 4,5 % en 2024.

Selon nos prévisions, la croissance mondiale ralentira à 2,8 % en 2024, soit moins que les 3,0 % de 2023, avant d’accélérer à 3,0 % en 2025, la plupart des économies évitant la récession.

Un terrain incertain

Les perspectives pour 2024 et 2025 s’appuient sur les incertitudes de la fin de l’année 2023, même si elles sont moindres qu’au début de l’année 2020, où le monde était plongé dans la pandémie. Les incertitudes géopolitiques sont au moins aussi importantes qu’à la fin 2021, avant l’invasion de l’Ukraine par la Russie, alors que la crise au Moyen-Orient reste un risque pour l’économie mondiale. Une escalade du conflit pourrait avoir un impact marqué sur les prix du pétrole, sur l’activité au niveau régional et plus largement la confiance des acteurs économiques au niveau mondial.

Au-delà de la géopolitique, l’incertitude qui entoure l’exercice de la prévision économique est particulièrement grande actuellement. C’est particulièrement le cas aux États-Unis, où il est difficile de prévoir le résultat de la mise en œuvre simultanée de politiques fortes et aux effets contraires, aux niveaux monétaire et budgétaire. Le resserrement de la politique monétaire n’a ainsi pas eu en 2023 un effet récessif sur l’économie, pourtant escompté par beaucoup, et ce dynamisme est d’ailleurs toujours d’actualité en ce début 2024.

Une année importante pour la politique

Soixante-seize pays représentant la moitié de la population mondiale, soit un peu plus de 4 milliards de personnes, organiseront des élections en 2024. L’élection la plus importante reste l’élection présidentielle américaine. Bien que nous ne soyons pas certains qu’il s’agira d’une réédition du duel Joe Biden-Donald Trump de 2020, c’est à ce stade le duel le plus probable. Le retour de Donald Trump aurait des implications nationales en termes de politique budgétaire, mais aussi au niveau mondial (possible retour des guerres commerciales, soutien à l’Ukraine et à Israël entre autres). Les élections européennes en mai et les élections britanniques (probablement en octobre) devraient également avoir des répercussions locales importantes.

Article rédigé le 12 février 2024 par Jean-Louis Laforge, directeur général délégué de la société de gestion AXA Investment Managers Paris.

Inflation, élections, récession… qu’attendre de notre économie en 2024 ? Découvrez l'analyse de Jean-Louis Laforge, directeur général délégué, AXA IM Paris

Glossaire

(1) Inflation : l’inflation est une augmentation générale et durable des prix des biens et services dans une économie donnée. Elle se mesure généralement par l’indice des prix à la consommation (IPC), qui calcule la variation moyenne des prix d’un panier de biens et services représentatif de la consommation des ménages. L’inflation peut être causée par différents facteurs, tels que la croissance de la demande, la raréfaction des ressources, la hausse des coûts de production, la dévaluation de la monnaie, etc. Un taux d’inflation modéré est généralement considéré comme bénéfique pour l’économie, car il encourage la consommation et l’investissement. En revanche, une inflation trop élevée peut nuire au pouvoir d’achat des ménages et à la compétitivité des entreprises.

(2) Banque centrale : une banque centrale est une institution financière qui est responsable de la politique monétaire et de la régulation du système bancaire d’un pays ou d’une zone monétaire. Les principales fonctions d’une banque centrale comprennent la gestion des réserves de change, la régulation de l’offre de monnaie, la fixation des taux d’intérêt, la supervision des banques commerciales et la stabilisation de l’économie. Les banques centrales jouent un rôle crucial dans la gestion de la politique économique et dans la stabilité financière d’un pays.  

(3) Politique monétaire : la politique monétaire est l’ensemble des mesures prises par une banque centrale pour réguler la quantité de monnaie en circulation, le coût de l’argent (les taux d’intérêt) et la disponibilité du crédit dans l’économie. La politique monétaire a des objectifs macroéconomiques tels que la stabilité des prix, la croissance économique et le plein emploi, tous étant liés. On parle d’assouplissement de la politique monétaire lorsque celle-ci augmente la quantité de monnaie et baisse le coût du crédit pour supporter la croissance économique et les prix. Inversement on parle de resserrement de la politique monétaire, en particulier lorsque son objectif est de juguler l’inflation.

(4) Réserve fédérale : la Réserve fédérale (la Fed) est la banque centrale des États-Unis où circule dollar. 

(5) PIB : le PIB (produit intérieur brut) est une mesure de la production économique d’un pays sur une période donnée, généralement une année.  Il représente la valeur de tous les biens et services produits sur le territoire d’un pays par les différents agents économiques (foyers, entreprises, administrations). Le PIB quantifie la valeur totale de la production de richesse, il est souvent utilisé comme indicateur clé de la santé économique d’un pays.

(6) BCE : la BCE (Banque centrale européenne) est l’institution responsable de la politique monétaire de la zone euro.   

Cycle économique (ndlr) : le PIB varie dans le temps, la production économique connait des phases d’accélération et de décélération, essentiellement en fonction des évolutions de la consommation et de l’investissement. On parle de phases de croissance, ou d’expansion, et de récession, voire de dépression. L’alternance de périodes de croissance et de récession forment schématiquement les cycles économiques. Lorsque le PIB est assez stable sur une période donnée, on parle de stagnation. 

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