La Banque Centrale Européenne joue un rôle souvent méconnu du grand public et pourtant fondamental. De la stabilité des prix à l'accessibilité du crédit immobilier, ses décisions sur les taux directeurs impactent directement notre quotidien. Hugo le Damany, économiste travaillant sur la zone euro, nous dévoile les mécanismes des taux directeurs, leur impact sur notre économie et comment ils façonnent notre pouvoir d’achat.
Quel est le rôle des banques centrales dans l’économie ?
Le modèle de banque centrale tel qu’on le perçoit aujourd’hui a commencé dans les années 1950-60 sous l’impulsion de la Réserve Fédérale qui s’est émancipée vis-à-vis du gouvernement afin de mieux lutter contre l’inflation. Les missions des banques centrales ou « banques des banques » ont évolué au cours de l’histoire mais aujourd’hui on peut considérer qu’elles ont une mission principale, à savoir la stabilisation des prix (parfois deux missions pour certaines banques centrales comme la Réserve Fédérale avec le plein emploi). En revanche, la mission est suffisamment large pour être également mandatée de la stabilité financière car elle répond indirectement à la première mission.
La mission la plus importante et la plus connue est donc la stabilité des prix ou l’inflation. Dans la plupart des pays, cela consiste à stabiliser la hausse des prix à un niveau « convenable », souvent autour de 2 % par an. Les raisons sont assez simples : un modèle de croissance économique équilibré et vertueux a plus de chances d’avoir lieu lorsqu’il y a de l’inflation car la consommation d’aujourd’hui est théoriquement moins chère que demain, favorisant dans le même temps les investissements pour répondre à cette demande et donc la croissance de demain… Pourtant, il n’est pas nécessaire d’avoir beaucoup d’inflation car cela a des effets contreproductifs sur le pouvoir d’achat des consommateurs qui peut fortement se dégrader. Théoriquement, un niveau d’inflation de 1 % pourrait suffire mais la politique monétaire n’est pas une science exacte et le timing des impacts souvent incertains, donc les banques centrales préfèrent disposer d’un « tampon » d’inflation positif.
Une autre mission importante est la stabilité financière. Une banque centrale peut agir comme un prêteur en dernier ressort en cas de crise. Les exemples sont nombreux sur les dernières décennies comme la Grande Crise Financière en 2008-2009, la crise de la COVID, et plus récemment la crise bancaire régionale aux Etats-Unis suite à la faillite de Silicon Valley Bank, etc. Pour prévenir ces crises mais également éviter l’aléa moral (une prise de risque incontrôlée car soutenue par une croyance que la banque centrale pourra nous sauver des conséquences négatives), les prérogatives des banques centrales se sont progressivement élargies à un rôle de supervision et de régulation du fonctionnement des marchés financiers.
Comment la BCE fixe-t-elle ses taux ? Sur quels critères ? Et sous quelle gouvernance ?
Toutes les six semaines environ, le Conseil des Gouverneurs de la BCE, qui inclut les Gouverneurs de chaque banque centrale nationale ainsi que six membres permanents, se réunissent, débattent et décident du niveau des taux directeurs à adopter. Cette décision se base sur des critères majoritairement macroéconomiques (inflation, activité économique, volume de crédit, etc.), sur les valeurs observées et sur des prévisions. La décision est ensuite communiquée et argumentée lors d’une conférence de presse.
Quels sont les facteurs macroéconomiques qui influencent le plus l’évolution à la hausse ou à la baisse du taux directeur ?
Le mandat de la BCE a pour objectif la stabilité de l’inflation, elle regarde donc en priorité l’inflation actuelle mais aussi l’inflation attendue à court et moyen terme. Pour faire des prévisions, la BCE se repose sur plusieurs modèles incluant les différentes variables qui influencent de près ou de loin l’inflation : les salaires, l’emploi, l’activité économique, la productivité, les profits des entreprises mais aussi les prix des produits agricoles et énergétiques. En réalité, le mandat de la banque centrale est extrêmement large car tout influence de près ou de loin la stabilité des prix : cela résulte d’un déséquilibre entre offre et demande qui sont les bases d’une économie de marché.
Comment le taux directeur influence le coût de l'argent à court terme ?
Il faut déjà différencier les trois taux directeurs dont dispose la BCE : le taux de refinancement, le taux de rémunération des dépôts et le taux de la facilité de prêt marginal pour des besoins urgents (donc plus cher mais très rarement utilisé).
Lorsqu’une banque commerciale cherche un crédit (pour se refinancer, délivrer des prêts), elle peut aller voir les autres banques commerciales qui disposent de liquidités. Ces dernières lui proposeront un taux d’intérêt compris entre le taux de dépôt de la BCE (qui rémunère leurs liquidités inutilisées) et le taux de refinancement. On retrouvera ainsi les propositions de prêts interbancaire dans ce « corridor ». Si aucune offre ne convient à la banque commerciale, elle pourra se refinancer auprès de la BCE au taux de refinancement.
C’est via ce mécanisme que les taux directeurs influent sur le coup de l’argent à court terme.
Comment le taux directeur influence les offres de prêts par les banques ?
Sur une activité de prêt immobilier, une banque fait normalement un profit avec le différentiel de taux appliqué entre le coût auquel elle emprunte (aujourd’hui et dans le futur) et celui auquel elle prête. Ainsi, si les taux directeurs de la BCE augmentent, ils font mécaniquement augmenter les intérêts des crédits pour les particuliers et les ménages. Cela peut représenter une charge supplémentaire conséquente pour le ménage qui souhaite emprunter, surtout à prix de l’immobilier inchangé. L’immobilier fonctionne souvent en vases communicants : à capacité d’achat constante, si les taux baissent, la charge d’emprunt diminue donc, vous pouvez consacrer plus au foncier et vice versa. La seule différence dans cet exemple est que la France bénéficie d’une exception rare avec une majorité de taux fixes et la possibilité de les renégocier.
Enfin, la BCE est responsable de la fixation des taux directeurs, qui influencent directement l’accès à la propriété. Toutefois, un autre facteur, le volet macroprudentiel, joue également un rôle clé, notamment en France. Celui-ci est géré par la Banque de France et a pour objectif d’anticiper les risques d’instabilité financière.
En particulier, il impacte fortement la distribution du crédit immobilier à travers plusieurs règles destinées à prévenir les situations à risque (surendettement, faillite, spéculation immobilière, etc.). Parmi ces mesures, la plus connue est le plafonnement du taux d’endettement à 35 % des revenus.
Hugo le Damany est un économiste qui travaille sur la zone euro. Dans le cadre de ses fonctions, Hugo fournit des informations sur l’activité économique, les prix, les politiques monétaires et les marchés financiers aux gestionnaires de portefeuille, aux clients et aux médias.
Hugo a rejoint AXA Investment Managers en décembre 2018 en tant qu’économiste quantitatif junior. Il y développe des modèles macroéconomiques, en particulier sur la zone euro, fournit des prévisions financières pour le Groupe AXA et couvre l’économie japonaise. Il est devenu économiste à temps plein sur la zone euro en septembre 2021.